Copie d’une pièce unique, cela fait plus de 70 ans que ce symbole de la résistance bretonne a été confectionné. Il revient aujourd’hui légitimement à Pierre Demalvilain, l’une des rares figures de la Résistance malouine encore de ce monde. Il est l’un des derniers survivants du « réseau Andréïs », du nom d’un médecin malouin, chef de ce réseau de la Résistance bretonne.
Le Malouin n’était qu’un gamin quand il l’a rejoint. Même pas 15 ans mais déjà l’âme d’un vrai patriote. Résistant de la première heure, dès 1941, à une époque où beaucoup de courageux étaient encore tapis dans l’ombre.
« Vous les femmes de Bretagne »
L’histoire de ce fameux drapeau, c’est un peu la sienne à Pierre. À 88 ans, l’esprit alerte et le regard captivant, il vous plonge dans ce passé, fait aussi d’hommes et femmes à la foi inébranlable. « Ce drapeau, ce fut une idée de Claude Andréïs, raconte Pierre. Il avait dit à son épouse : « Imagine-toi un beau drapeau tricolore avec Croix de Lorraine que vous broderiez, vous les femmes de Bretagne, et que nous ferions passer là-bas ».
« Là-bas », c’était l’Angleterre, et le QG londonien du Général de Gaulle.
Alors on s’activa pour que ce « témoignage fraternel et solidaire des femmes de la Résistance bretonne prenne corps ». Dans la plus stricte confidentialité, il va s’en dire. Imaginez un Allemand tombait sur ce drapeau et c’était la prison -au mieux- assurée.
La soie envoyée de Lyon
Première difficulté : comment trouver un joli tissu et de la soie ? Tout sauf une mince affaire en ces temps de vache maigre. Il a fallu multiplier les contacts et « beaucoup de persévérance ». La soie, finalement, arriva de Lyon. Les fils d’or qui formeraient la frange du drapeau, eux aussi, vinrent de zone libre. « Comme si, spontanément, le pays tout entier avait voulu manifester sa solidarité », écrira plus tard le docteur Andréïs.
De Bretagne, plus généralement, et du pays de Saint-Malo, tout spécialement, de nombreuses petites mains apportèrent leur touche, leur broderie, leur doigté dans la confection. Le drapeau désormais tissé et frappé des mots « Honneur et Patrie » arriva à Saint-Malo le 28 novembre 1942. « Il fut accueilli avec joie, admiré de tous, avant d’être béni des mains de l’abbé Liziou ».
Grâce aux services secrets belges
Restait néanmoins un détail à régler. Et pas des moindres. Comment faire acheminer cette œuvre malouine-bretonne de la Résistance au Chef de la France Libre ? Le beau drapeau aura droit à un sacré périple, passant par Paris avant d’être remis aux mains des Services secrets belges, qui se chargeront de lui faire traverser la Manche. Le 8 mai 1944, Radio Londres se fera l’écho de son arrivée à bon port. L’étendard était enfin entre les mains du Général de Gaulle.
Malheureusement, la belle histoire devait finir par souffrir d’un imprévu. « Il fut décidé que le drapeau rejoindrait le sol de France en juin 44, avec le retour du Général de Gaulle. Mais la vedette qui l’accompagnait, et portait ses bagages, sauta sur une mine… » Tel un combattant, l’étendard malouin sombra au champ d’honneur. Une copie fut heureusement réalisée et remise au docteur Andréïs, à son retour des camps de concentration.
Le dernier gardien
À sa mort, peu de temps après, ce fut une autre résistante malouine, Janine Leclerc, qui hérita de cette copie sacrée. Le drapeau fut brandi dans toutes les cérémonies patriotiques, puis seulement dans les grandes occasions.
Quelque peu oublié, il ressortit de son armoire et rejaillit dans les mémoires. Pierre Demalvilain en était devenu le dernier gardien. Après, seulement après, le drapeau de la Résistance rejoindra les pièces d’un musée.
« Mais je ne suis pas pressé de leur remettre », glissa-t-il d’un œil malicieux. Nous non plus Pierre, on préfère le voir entre vos mains.
Pierre Demalvilain nous a quittés en octobre 2015, à l'âge de 89 ans. Le drapeau a rejoint le musée.