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Le petit-fils du commandant d'Auschwitz : « Pourquoi ma famille me traite de traître »
Rudolf Hoess, Commandant du camp d'Auschwitz, fut l'un des accusés à Nuremberg lors de la série de procès qui a débuté il y a exactement 69 ans.
Son petit-fils raconte à The Telegraph la honte que lui inspire les actions de son aïeul, et explique pourquoi il craint que l'Europe n'a pas appris les leçons du passé.
Le lieu de sépulture du grand-père de Rainer Hoess n'est pas marqué d'une pierre tombale ; mais s'il l'était, Rainer Hoess affirme qu'il n'hésiterait pas à cracher dessus.
« Il a mis sur notre vie un tel fardeau, dit-il, une croix si lourde à porter, que je n'arrive pas à le lui pardonner. »
Ce grand-père s'appelait Rudolf Hoess ; c'était le Commandant Nazi du camp de concentration d'Auschwitz ; on estime à 1,5 millions le nombre de personnes dont il a supervisé l'assassinat.
Le 20 novembre 1945, il y a exactement 69 ans, s'ouvrait à Nuremberg la série de procès sans doute la plus importante de tout le siècle dernier. Rudolf Hoess se trouvait parmi les accusés.
Son petit-fils Rainer, âgé de 49 ans, est le seul membre de sa famille à dénoncer publiquement ce grand-père, pendu à l'issue de son procès en 1945.
Parlant au journaliste de The Telegraph par téléphone depuis sa maison en Allemagne, M. Hoess explique que, enfant, il ne savait rien de la vie de ce grand-père mort 20 ans avant sa naissance.
« C'était la dictature chez nous, explique-t-il. Nous n'avions pas le droit de contredire. Je devais admirer mon grand-père comme un héros. »
Hoess s'était encarté au parti Nazi en 1922 ; douze ans plus tard il entrait aux SS. Grâce à sa longue expérience de Dachau et de Sachsenhausen, ainsi qu'à son amitié avec le commandant SS Heinrich Himmler, il fut nommé commandant d'Auschwitz en 1940.
C'était à lui qu'on devait la conception et l'administration des chambres à gaz ; lui qui introduisit l'utilisation du gaz Zyklon B pour la mise à mort des enfants, des personnes âgées et de tous ceux inaptes au travail.
C'est à l'âge de 12 ans que M. Hoess apprit la vérité sur le terrible secret de sa famille.
Pensionnaire au collège, il fut pris avec des camarades en train de voler de la nourriture à la cuisine ; comme punition, le directeur les obligea à travailler dans le jardin. Il se trouva que le jardinier était un survivant d'Auschwitz. Ayant reconnu le nom du petit garçon, il prétendit que celui-ci se soustrayait à ses tâches, et le garda au travail pendant trois mois ; il en profita pour gratifier l'élève turbulent de gifles et de coups de pied. Rainer ne savait pas pourquoi.
Ce n'est que lorsqu'un des enseignants lui expliqua que son grand-père avait été responsable de toute la détresse dont le jardinier avait été témoin qu'il comprit.
Mais son père, Hans-Jurgen – le fils de Rudolf – rejetait les allégations.
« Mon père nous punissait, ma mère et moi. Ma mère a fait une dizaine de tentatives de suicide ; une fois elle a essayé de se pendre du balcon. Moi-même j'ai fait deux tentatives de suicide, j'ai eu trois crises cardiaques et un AVC en 1990. »
Trois ans plus tard, le jeune Hoess passait ses vacances chez l'ancien chauffeur de son grand-père, qui lui racontait la vie de luxe de Rudolf Hoess à la villa près du camp.
« La vie était belle à la villa – mais les prisonniers y étaient punis, dit-il.
L'un d'eux s'est perdu dans le jardin, on l'a ramené à Auschwitz pour le pendre. Il a été épargné à la dernière minute parce que ma grand-mère avait besoin de lui pour travailler. »
À la villa, de nombreux Témoins de Jéhovah étaient forcés de travailler à l'intérieur ; les Communistes, les opposants politiques et les Gitans travaillaient à l'extérieur ; l'accès à la propriété était interdit aux Juifs.
Le chauffeur racontait qu'avant de se coucher le Commandant d'Auschwitz ordonnait toujours à un prisonnier de chanter pour lui.
« C'était un militaire sans cœur qui faisait mourir 20 000 personnes avant le dîner, sous prétexte qu'il ne faisait que son travail, dit M. Hoess. Et pourtant, il pouvait ensuite devenir un papa affectueux qui bordait ses enfants dans leur lit. »
M. Hoess finit par quitter la maison familiale à l'âge de 16 ans. Il devint chef-cuisinier, et cessa tout contact avec sa famille en 1985. D'après lui, ils le traitent maintenant de traître.
Par une froide matinée de 2009, il a eu l'occasion de visiter Auschwitz pour la première fois en compagnie de sa mère et de Thomas Harding, un journaliste et écrivain israëlien.
« Toute la nuit qui a précédé la visite, dit-il, je ne trouvais pas le sommeil ; je tournais en rond dans ma chambre. Je cherchais des raisons de ne pas y aller – mais j'avais besoin de voir cela de mes propres yeux, de sentir Auschwitz. C'était très dur. Quand nous sommes arrivés, dans la voiture c'était le silence complet. C'était effrayant – incroyablement énorme ! J'étais incapable de toucher les briques, ni quoi que ce soit. »
Le grand-père de M. Hoess tenta de s'évader avec sa famille et de rejoindre l'Amérique du Sud après la guerre, mais il fut pris par les Britanniques. Il avoua ses crimes à Nuremberg, et il fut pendu à coté des crématoires du camp.
Le site d'exécution est encore là – pour M. Hoess, le meilleur moment de la visite.
« Il ne pouvait plus faire le mal ni punir. Je me demande ce qu'il a pensé juste avant de mourir ; qu'a-t-il ressenti en regardant la villa, les crématoires, le camp ? »
Une dame juive a offert à M. Hoess une étoile de David, qu'il a promis de porter toujours. « Cela m'aide, et me réjouit. » dit-il. Récemment il a été officieusement adopté comme « petit-fils honoraire » par Eva Mozes Kor – une survivante d'Auschwitz qui avait été utilisée par Mengele pour ses expériences tristement célèbres.
Il vit actuellement dans le sud-ouest de l'Allemagne ; il se rend dans les écoles environ 70 fois par an pour raconter aux élèves l'histoire de son grand-père, et parler des partis extrémistes.
« Je ne rate jamais une occasion d'affronter l'extrême droite, dit-il. Ils ne me font pas peur ! »
Selon M. Hoess, le « virus de l'idéologie » se porte bien en Europe ; il met en garde contre les partis de l'extrême droite, qui sont tous « identiques au parti Nazi. »
Il est convaincu que son grand-père, s'il était encore vivant, adhérerait à un de ces partis.
« C'est la même idéologie, les règles n'ont jamais changé ; ils utilisent des expressions odieuses afin d'influencer les jeunes, ils accusent les minorités de voler les emplois et d'occuper l'espace, exactement comme les Nazis par rapport aux Juifs. »
La seule différence, précise-t-il, c'est que les partis d'extrême droite ont tiré des leçons des erreurs des Nazis.
« Ils trouvent des moyens efficaces et silencieux de faire partager la haine. Ils ne s'en prennent plus aux seuls Juifs : leur cible s'est considérablement élargi ! dit-il. Les mouvements sont bien mieux organisés que l'Allemagne d'Hitler. Il me semble que les autres pays n'ont rien appris des leçons de l'histoire. »
Source : Konstantinos LIANOS - The Telegraph - 20 novembre 2014